Edito

Déby se moque de la jeunesse

Déby se moque de la jeunesse 1

S’il existe une partie de la population tchadienne dont le nom est dans toutes les sauces, c’est bien la jeunesse. Abreuvée à longueur de journée par les promesses les plus mirobolantes de toute la classe politique, cette majorité écrasante de la population est paradoxalement la plus mal lotie. Formée au rabais, mal soignée, en proie à un chômage endémique, muselée… mais sans vergogne, la classe dirigeante, le chef de l’Etat en tête, ne manque pas de qualificatifs flatteurs à chaque sortie médiatique pour mystifier la jeunesse.
La dernière démonstration de cette hypocrisie éhontée du président de la République remonte au symposium de la jeunesse organisé en ce début du mois de juillet par le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (Maep). A l’ouverture de ces assises, Idriss Déby s’est targué d’être « le champion de la jeunesse » oubliant que celle de son pays est la dernière de la classe dans l’indice du capital humain de la Banque mondiale. 157ème sur 157 pays, avec une note de 0,29, cet indice qui prend en compte la survie à la naissance, l’éducation et la santé démontre que le jeune tchadien ne peut exprimer qu’à 29% sont potentiel productif. Dans ces conditions, il n’y a pas de quoi être fier en tant que chef d’Etat. Dans ce pays où les impératifs sécuritaires servent de parfait alibi pour justifier tous les errements du pouvoir, le budget de l’éducation et de la santé sont naturellement réduits à une portion congrue.
Dans le même discours, Déby a sorti de sa manche cette belle phrase selon laquelle, «la vitalité de notre démocratie et notre gouvernance politique exige une pleine participation de nos jeunes ». C’est à se demander s’il s’est entendu, lui qui, sous le fameux prétexte sécuritaire, avait censuré depuis près de deux ans les réseaux sociaux, devenus un espace d’expression démocratique par excellence de la jeunesse pour protéger son régime de toute éventuelle contestation populaire dont cet espace virtuel pourrait être le catalyseur, avant de demander la levée de cette censure sous la pression de la communauté internationale.
Le forum sur les Tic, organisé en grande pompe du 11 au 13 juillet pour annoncer que «le Tchad place les technologies de l’information et de la communication au centre de son développement», s’inscrit dans une logique de diversion. Le projet de fibre optique Tchad-Cameroun financé à coût de milliards et présenté comme la solution au problème de connexion Internet au Tchad (chère et avec des débits médiocres) a accouché d’une souris. Celui reliant le Tchad au Soudan, lancé depuis 2014 a dû attendre cinq ans avant d’être inauguré. Pour l’heure, il ne résout ni le problème du coût, ni celui de la qualité de la connexion internet. Plusieurs raisons expliquent l’échec du premier projet et le retard accusé par le second. La frilosité du régime en place face au danger que peut représenter Internet pour sa survie en libérant la parole de la masse populaire, en fait partie. Cette restriction de l’accès à Internet est un frein au contrôle citoyen de l’action gouvernementale, gage de la bonne gouvernance que Deby appelle de ses vœux mais aussi un coup porté à l’éclosion de l’économie numérique qui peut contribuer à réduire le chômage au Tchad.
Encourager la participation des jeunes à la consolidation de la démocratie et à l’ancrage de la bonne gouvernance, c’est aussi ouvrir le jeu politique de manière à leur permettre d’accéder aux instances de prise de décisions, y compris la magistrature suprême. Or, il se trouve que le président de la République qui, assoiffé de pouvoir n’a pas manqué de dire qu’il ne voit personne à même de lui succéder, s’est taillé la constitution sur mesure, excluant les jeunes qui aspirent à accéder au pouvoir par la voie démocratique. Prendre soi-même le pouvoir à moins de 40 ans et imposer aujourd’hui aux jeunes d’en avoir 45 pour être éligibles à la présidence de la République relève d’une aberration qui cache mal la boulimie du pouvoir. Ce qui est sûr, Déby est champion mais dans le dévoiement de la jeunesse.

La rédaction