Politique

Maïnan Norbert Doumsangar, le seul maire de l’opposition à la tête d’une commune

Maïnan Norbert Doumsangar, le seul maire de l’opposition à la tête d’une commune 1

A 50 ans, Maïnan Norbert Doumsangar est le seul maire de l’opposition à gérer une commune au Tchad. Portrait de celui qui gère la commune de Bébédjia depuis les dernières élections communales en 2012.

Dans les couloirs de la commune de la ville de Bébédjia, il se fond dans la foule, difficile de l’identifier à distance en cette matinée de mardi 18 août. Vêtu d’un grand boubou en pagne, cheveux et barbes poivre-sel, le maire nous reçoit dans son bureau, décoré de ses photos et d’un statut symbolisant le totem de la ville. Lèvres pincés par moment et regard malicieux, ce fils d’un syndicaliste-évangéliste compagnon de Gabrielle Lisette puis de Jacques Nadingar se voyait administrateur dès son plus jeune-âge. «Quand j’étais petit, je portais toujours le chapeau du premier président (Ndlr: Une toque couleur léopard) que mon père m’a offert. Je rêvais de devenir un administrateur. À l’école primaire, mon père me confiait des papiers politiques. Il me disait souvent, mon fils je ne fais pas la politique avec ces gens (Ndlr : les militants du parti Unir de Hissein Habré). Tu me remplaceras et par toi, Bébédjia deviendra département», se souvient Maïnan Norbert Doumsangar qui assure que son père fait partie des pionniers qui ont lutté pour que cette ville devienne un Poste Administratif (Pa). «Je fais partie aussi des gens qui ont organisé le forum pour réclamer le département donc j’ai accompli le dessein de mon père», ajoute-t-il avec le sentiment d’un devoir accompli.
Celui qui n’avait aucune obédience politique après son baccalauréat en 1992 fera le choix d’adhérer le parti fédéraliste après que ses dossiers pour l’obtention d’une bourse pour Poitier, en France ne soient pas signés. «Du building de Moursal, j’ai fait directement chez Yorongar qui est mon oncle mais chez qui je n’avais jamais mis pied avant cette date. Mais ce jour lorsqu’on m’a découragé, j’ai fait directement chez lui. Je me suis dit au lieu d’entrer en rébellion contre ce régime qui a escamoté mon avenir, j’ai choisi la voie de l’opposition, celle radicale», se confesse-t-il. C’est au sein du parti fédéraliste que le jeune révolté va poursuivre son parcours politique. «J’ai bénéficié des formations professionnelles et j’ai pu obtenir une attestation en tracée professionnelle de plan puis une autre en bâtiment et génie civil», ajoute-t-il.
Après quelques années de travail à la capitale, Maïnan Norbert Doumsangar qui est l’un des membres fondateurs de l’Association d’autopromotion pour la défense, l’entraide et le développement socioéconomique de l’ex sous-préfecture de Bébédjia rejoindra sa cité natale en 1997 grâce à un projet financé par l’Ambassade des Etats-Unis au Tchad. «J’ai constaté que le village n’avait pas un défenseur. C’est ainsi que j’ai décidé d’y rester en 2000. Mais aux élections de 2001, c’était la chasse à l’homme des militants du Far», se rappelle le maire de la ville de Bébédjia. Le domicile de son neveu et compagnon inséparable Djimbaye Faustin a échappé à un incendie par erreur, car les militants du parti au pouvoir ont incendié la maison d’un autre Faustin. «Mon neveu a fui et cinq jours après, un des militants du Mps est venu me dire de me cacher et ne pas emprunter la grande voie. J’ai dû rester caché chez ma femme pendant plusieurs jours», raconte celui qui travaillera plus tard comme agent de sécurité puis chef de chantier sur le site pétrolier sans renoncer à la politique.

Maire sous contrôle

«Quand j’ai fait mon arrivée à la tête de la mairie, des obstacles de tout bords ont été dressés contre moi. D’abord mes conseillers qui me trouvent trop attaché au parti adverse, puis j’ai été accusé d’avoir violé une mineure», témoigne le maire de la ville de Bébédjia qui assure en être heureusement blanchi. «Ils ont exploité un de mes proches collaborateurs qui fait semblant d’être avec moi. Ce dernier a appelé nuitamment le juge pour lui dire que j’ai tué le défunt maire sortant, qui est pourtant mon oncle maternel. En 2017, j’ai échappé à la mort d’un tir à bout portant du préfet dans l’affaire dite de ’Miandoum’ parce que je ne lui laisse pas le chemin», complète-t-il.
Outre les coups bas, le maire de la ville assure avoir échappé à plusieurs contrôles. «Ils ont fait tous les montages sur moi avec le gouverneur en envoyant des agents de renseignement, la gendarmerie, le sous-préfet, le préfet et la police pour des contrôles mais cela n’a rien donné. Malgré cela, ils m’ont suspendu avant de me rétablir. Le rapport est resté dans le tiroir du gouverneur sans être rendu public. On m’a ensuite accusé de rébellion. Les militaires bien armés sont venus à 4h du matin avec huit véhicules pour encercler ma concession et passer aux peignes fins les maisons mais ils n’ont pas trouvé d’armes qu’ils cherchent et les biens de l’Etat», égrène Doumasngar.
A l’aube des nouvelles échéances électorales, le maire de Bébédjia affirme n’avoir qu’un seul regret: «je n’ai pas vraiment réalisé mon rêve. Bébédjia est resté toujours comme avant parce que le premier projet que la population demande notamment l’ouverture des rues n’a pas été achevé faute des moyens. L’Etat a refusé de nous donner les moyens et les recettes de la commune ne nous permettent pas de faire fonctionner la mairie moins encore de construire la ville. Le peu qu’on n’a eu ce n’est pas facile mais on s’est arrangé pour ouvrir certaines rues et avoir le plan d’urbanisation que même les grandes villes à côté n’ont pas».
«Je veux aller encore plus loin mais le choix de me représenter aux prochaines communales revient au parti», assure-t-il.

Stanyslas Asnan