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Le 6 mai 2024 espoir de changement au Tchad malgré tout

Le 6 mai 2024 espoir de changement au Tchad malgré tout 1

Par Djimadoum Mandekor, économiste, essayiste, auteur de « Pour sortir la BEAC de sa gouvernance défaillante. Promouvoir une banque centrale assurant l’intérêt général ». Editions Jets d’encre.

Le 6 mai 2024, les tchadiens voteront leur Président de la République après une transition de trois ans imposée par le clan du président Déby, déclaré mort le 21 avril 2021 dans des circonstances non réellement élucidées jusqu’à ce jour. Le changement anticonstitutionnel, l’autre nom de coup d’Etat, accompli par des généraux issus essentiellement d’une même parentèle, a été adoubé par Macron, l’Union européenne et l’Union africaine, sans réaction forte de l’ONU. Carte blanche avait donc été ainsi donnée à la succession dynastique par Mahamat Idriss Déby Itno.

Or, la gestion partisane de cette transition a aggravé la misère déjà endémique des tchadiens durant 30 ans auparavant. La remontée des cours du pétrole, favorisé notamment par la crise russo-ukrainienne, a fourni des ressources supplémentaires à la distribution du grade de général aux relations familiales, faisant du Tchad un pays ayant un effectif de généraux supérieur à celui des Etats Unis.

L’improvisation permanente de la conduite des affaires nationales, inspirée surtout par la volonté de préserver les intérêts du clan et maintenir sa suprématie sur le pays, aboutit notamment à l’absence d’eau et d’électricité pour l’immense majorité. L’école marche par à-coups, les enseignants révoltés par la gabegie envahissante sont régulièrement en grève. Le système sanitaire fonctionne à la petite semaine. Les dirigeants de cet Etat fantomatique et leurs familles s’évacuent donc à l’extérieur, à la charge des contribuables. Le chômage des jeunes diplômés grossit d‘année en année tandis que des recrutements sont opérés dans la fonction publique, sans égard sur les moyens de les financer à court et long terme.

Au total, les finances publiques sont purement théoriques, gérées de manière non-orthodoxes, avec des dépenses militaires illimitées. Elles font du Tchad l’un des derniers pays du monde en matière de gestion et de transparence budgétaire. Les mauvaises performances économiques et sociales du pays, imbibées de corruption et de dilapidations massives des deniers publics, ne provoquent aucune réaction de la communauté financière internationale si prompte à stigmatiser d’autres pays.

L’insécurité généralisée, accompagnée de tueries et massacres (Abéché, Mangalmé, Kyabé, Sandana, etc.), sur un territoire quadrillé par des généraux du clan, au détriment des gouverneurs et préfets civils compétents et d’origines régionales diversifiées, avait atteint son paroxysme le 20 octobre 2022. Malgré les 128 morts reconnus par la Commission nationale des droits de l’homme (218 selon la Ligue tchadienne des droits de l’homme) et les nombreux disparus, la Constitution et le cadre institutionnel des élections, conçu pour favoriser l’élection et la ferme légitimation de Mahamat Idriss Déby Itno, sont validées sans réaction forte de l’UA, des Nations Unies et de l’UE, institutions soucieuses uniquement de la sécurisation de l’Occident.

La mise en place précipitée du Conseil constitutionnel et de l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE), grâce au Conseil national de transition, parlement provisoire, aux membres tous nommés par le président de transition, visait à prendre de court tout le monde, particulièrement Succès Masra après son retour au Tchad en novembre 2023. Elle a été décidée sans consultation préalable de l’ensemble des partis politiques, en violation du Cadre de concertation politique établi entre la plupart des partis politiques. Etonnamment, cette démarche unilatérale n’a pas suscité de protestation franche. Pourtant, les recommandations du Dialogue National Inclusif et Souverain (DNIS) prônaient la création d’un organe chargé des élections indépendant, crédible et consensuel, avec des membres ayant des qualifications et une impartialité avérées, ainsi que la mise en œuvre des mesures nécessaires à « la transparence et la crédibilité des élections à venir ». Mais le DNIS, rassemblant de membres choisis exclusivement par le Président de transition, comprenait essentiellement des militants et alliés du Mouvement Patriotique pour le Salut (MPS), parti de Idriss Déby. Son penchant manifeste pour le statu quo et des réformes de façade est révélateur de l’orientation de l’ensemble du processus de transition qui n’a servi qu’à placer MIDI en pole position pour les présidentielles du 6 mai 2024.

Le Conseil constitutionnel, malgré l’obligation d’y nommer trois magistrats et six juristes de haut niveau, démontrant une compétence professionnelle reconnue, une bonne moralité et une grande probité, est composé de membres dont les performances ne sont pas robustes et vérifiables. Seul son président, Jean Bernard Padaré, est connu, ancien ministre et secrétaire général adjoint du Mouvement patriotique pour le salut (MPS). L’un d’entre eux apparaît être ni magistrat ni juriste mais plutôt un traducteur et spécialiste de l’éducation en « situation d’urgence » ! Un autre, présenté comme magistrat, semble n’avoir jamais exercé cette fonction et ne remplirait pas l’ancienneté requise de 15 ans.

Pour sa part l’ANGE, définie officiellement comme une structure indépendante, agissant en toute transparence et professionnalisme, son caractère partisan est éclatant. En effet, il est dirigé par un bel-oncle du défunt président Déby, ex-président de la commission du DNIS qui a recommandé la prolongation de la transition et l’éligibilité du président de transition. Sa vice-présidente vient de la direction de l’UNDR, parti de Saleh Kebzabo, le précédent premier ministre. Les autres membres, dont le responsable d’une ONG notoirement pro-Déby depuis des lustres, ne brillent pas par leur charisme et des preuves irréfutables de leur esprit indépendant. Trois d’entre eux n’ont aucun antécédent d’activités hors leur nomination à l’ANGE. La plupart des membres ont des accointances notables avec le pouvoir depuis Déby père.

Une comparaison avec les institutions similaires du Sénégal montre des différences colossales en défaveur du Tchad. Ainsi, les compétences et l’expérience professionnelle des membres de ces structures sont visibles, avec plusieurs professeurs de droit et des réalisations palpables. La présence parmi eux de quelques retraités accroît l’indépendance de ces organes. Leur maturité plus grande peut leur valoir l’appellation de « sages » attribuée à leurs homologues du Conseil constitutionnel en France, ancêtre originel de ce type d’organe, manque indubitablement à ceux du Tchad. Elle est difficile à admettre au vu des déclarations tonitruantes passées de son président actuel et sa livraison publique récente à la vindicte populaire d’un candidat éconduit.

Dans l’ensemble, 34 ans de gabegie et d’insécurité, aggravées pendant la transition, ont édifié les tchadiens sur l’origine de leur paupérisation. La tolérance outrageante de la corruption par le président-candidat, attestée dans son livre publié récemment, qui relate notamment son pardon à un proche collaborateur et ami, auteur d’un détournement de 13 milliards qui aurait été remboursé, jette le doute sur le changement de cap qu’il propose. Ses réussites proclamées, paix, réconciliation, adoption de la Constitution et tenue des élections présidentielles, ne peuvent couvrir les coûts élevés en vies humaines et dilapidations des ressources de cette transition et du long règne de son défunt père.

Nonobstant son intégration tardive à la transition et son appel à voter oui au référendum sur la nouvelle constitution qui ont refroidi certains de ses sympathisants, Masra Succès, Président du parti Les Transformateurs, constitue une alternative sérieuse et crédible à la stagnation dans la continuité avec le régime Déby. Son engagement contre la corruption et l’impunité et pour consacrer prioritairement, de manière juste et équitable, les ressources publiques à l’éducation, la santé et à l’emploi, rassemblent sans clivage nombre de laissés-pour-compte du système en cours. Sa candidature est notamment soutenue par Yorongar, l’opposant historique, et Salibou Garba, un ancien ministre sous Idiriss Déby, ainsi que plusieurs partis et personnalités de toutes origines.

Le seul et vrai enjeu de ces élections est la transparence et la vérité des urnes. La forte aspiration au changement du peuple tchadien, notamment de sa jeunesse majoritaire, rendra très risquée les tentatives de manipulation habituelle des résultats des votes. Les hommes et les femmes épris de paix et de dignité humaine de par le monde doivent contribuer à assurer la sincérité du scrutin du 6 mai 2024. Il ne faut pas attendre trente ans pour reconnaître une responsabilité d’un génocide latent. Il faut le prévenir maintenant, principalement la France qui a adoubé le pouvoir dynastique et surarmé en place, et semble ostensiblement s’accommoder des massacres qu’il commet. Les tchadiennes et les tchadiens sont fermement déterminés à veiller sur l’intégrité de leur vote. La volatile « Communauté internationale » ne doit pas l’ignorer.