Opinion

La Banque mondiale aboie, le maréchal passe

La Banque mondiale aboie, le maréchal passe 1

Quels impacts réels ont-ils encore les rapports de la Banque mondiale sur la gouvernance économique et politique du Tchad ? Les résultats de deux dernières enquêtes, menées l’une sur la situation de l’économie et de la pauvreté au temps de la COVID-19, et l’autre sur la marge budgétaire pour des dépenses productives dans les secteurs sociaux, enfoncent le dernier clou qui manquait au cercueil de la santé et de l’éducation au Tchad. Mais que dire de plus sur cet énième rapport alarmant quand on a affaire à un partenaire qui se prend pour une caravane intrépide que rien n’impression, même certains aboiements.

Pêle-mêle, les rapports pointent la chute vertigineuse du budget consacré aux deux secteurs. Les dépenses d’éducation reculent de 15,4 % du PIB en 2013 à 9,9 % en 2014 puis 8,9 % en 2015, et elles restent inférieures à l’objectif plancher de 20 % fixée par le Partenariat mondial pour l’éducation. Dans le domaine de la santé, le Tchad dépensait 32 USD par habitant, tandis que les pays d’Afrique Sub-Saharienne dépensaient 82 USD. Les bâtiments scolaires sont inadéquats. Près d’un tiers des salles de classe sont des structures temporaires de paille ou de chaume pour abriter du soleil ou de la pluie : 62 % des salles de classe sont en mauvais état. Dans les écoles communautaires, 86 % des salles nécessitent des réparations et mises à niveau.

Le détail le plus sidérant des enquêtes relève que le système de santé tchadien reste largement financé par les paiements directs effectués par les ménages qui représentent plus de 61 % des dépenses de santé actuelles, moins de 19 % provenant du gouvernement et moins de 15 % de sources extérieures. La part des dépenses de santé supportée par les ménages en Afrique et dans les pays à faible revenu s’établit à 40,4 % et 37,6 % en moyenne respectivement.

Dans un pays gouverné sur des valeurs médiévales où les exploits militaires sont les plus recherchés et exploités à outrance, il n’y a point de considérations pour les indicateurs de développement qui cimentent l’émergence des Etats du 21ème siècle. Les études l’ont souligné, « pour la même période, les dépenses militaires ont presque quintuplé ». Triste réalité en effet qui ne cessera de jeter le discrédit sur le régime Déby dans ce qu’il a de plus répugnant qui est de faire pratiquement l’apologie de la guerre, reconnue de toutes les manières comme les piliers de la longévité du tout nouveau maréchal. On prétend maîtriser l’art de s’ériger en « digue de protection contre le terrorisme », en faisant du Tchad « un ilot de paix dans un Océan de conflits tout autour », mais il est très dommageable qu’ici la notion de la paix n’ait été réduite simplement à l’absence de guerre qui ne finit d’ailleurs jamais au Tchad.

L’épidémie de Covid-19 et les toutes récentes et récurrentes inondations sont en train de nous montrer à quel point d’un havre de paix le Tchad peut facilement se transformer en un château de carte qu’il l’est d’ailleurs. Par conséquent, la paix n’est pas une fin en soi mais elle permet plutôt de se développer, et les fondamentaux d’un développement durable passent absolument par l’éducation et la santé qui inondent à longueur de journée les discours des autorités. Peut-être par pur effet de mode imposé par le buzz autour du concept du capital humain. Il est un secret de polichinelle qui est en train de faire le deuil de l’avenir du Tchad. Depuis que le secteur de la santé a été sous-traité à la fondation Grand-Cœur dans ses ambitions expansionnistes, et celui de l’éducation empêtré dans un bilinguisme tiré par les cheveux, rien n’est plus visible et soutenable. Année après année, ces deux secteurs bénéficient de suffisamment de financements de la part des partenaires au développement dont la Banque mondiale mais comment expliquer l’état de dénuements dans lequel ils se trouvent ? La réponse se trouverait indubitablement dans l’état de gouvernance générale du pays.

Près de 20 ans après l’exploitation du pétrole tchadien, non seulement beaucoup d’eau a coulé sous le pont, mais l’on a l’impression d’assister à un ressac, après la vague soulevée par les premiers pétrodollars qui avaient fait perdre la tête au Palais Rose. Entre la Banque mondiale et le Tchad, les souvenirs récents sont encore frais pour disparaître aussi facilement des mémoires. C’est en cela que certains extraits de ces études sonnent comme une leçon à retenir adressée à un certain Younousmi, son boss et les autres qui pensaient avoir le pouvoir de faire courir le Tchad sur les toits des derricks, au point de vouer aux gémonies « l’aide extérieure dont le Tchad n’en avait plus besoin ». Mais la désillusion est là et cinglante : « Les flux de dons extérieurs ont doublé depuis le choc des prix pétroliers, progressant de plus de 100 % entre 2014 et 2018, mais les recettes non pétrolières ont diminué de près de 15 % au cours de la même période », a assené l’étude du partenaire Banque mondiale. N’en déplaise, même si ici la culture politique réduit au rang de « katkat saguid » (en arable local simple papier) tout ce qui relève du savoir, de la connaissance et des engagements internationaux pris.

La Banque mondiale a fait sa part travail. C’est vrai qu’elle pouvait peser davantage à travers d’autres moyens de dissuasion dont elle dispose comme les appuis budgétaires pour contraindre le gouvernement à faire de la santé et de l’éducation les piliers du développement du Tchad. Qu’à cela ne tienne, le reste de la bataille doit être gagnée localement par l’éveil des consciences des populations sur ses difficiles conditions de vie. Ces mêmes auxquelles le régime MPS a promis l’émergence pour 2030 et devant lesquelles les prêcheurs de mensonges s’apprêtent à repasser pour solliciter un interminable mandat.