Economie

« Ce sera un forum consacré surtout au secteur privé »

A la veille de l’ouverture du forum Tchad-Monde Arabe sur les investissements, nous vous proposons cette interview que nous a accordée le ministre de l’économie et de la planification du développement Issa Doubragne sur les enjeux de ce forum.

Monsieur le ministre, N’Djaména accueillera du 26 au 28 juin prochain la 1ère édition du Forum Tchad-Monde arabe. Dites-nous quels sont les enjeux de ce forum ?

Je voudrais vous remercier de me donner l’occasion de m’exprimer sur ce forum d’envergure que le Tchad entend organiser du 26 au 28 juin prochain et qui réunira tant les acteurs économiques tchadiens que ceux du monde arabe. Il s’agit pour le Tchad de concrétiser les annonces faites à Paris en septembre 2017 dans le cadre de la mobilisation de ressources pour la mise en œuvre du plan national de développement (Pnd 2017-2021).
Ce forum d’investissement est une étape de concrétisation nette et précise de tout ce qui est projet structurant des secteurs privé et public. Il s’agira d’appeler les financements dans les domaines de l’agriculture et de l’élevage surtout pour les filières porteuses et les chaines de valeurs agricoles. Vous connaissez les potentialités de ces pays dans ces deux secteurs. Il s’agit aussi de la pêche dont on ne parle pas souvent bien que le Lac-Tchad se soit rétréci, les fleuves aussi mais le Tchad garde toujours son potentiel en matière de pêche. L’énergie, c’est la question essentielle du moment sans laquelle rien ne peut se faire dans ce pays. Le secteur énergétique autant que les énergies renouvelables tant routières qu’aéroportuaires, l’habitat et l’urbanisme les mines feront partis de cette mobilisation de ressources. Les services, aussi bien les Ntic que les finances pourront être aussi présentées à ce forum sans oublier le tourisme. Il nous a été reproché d’avoir oublié ce secteur dans notre présentation aux pays arabes. Ce secteur, il ne faut jamais l’oublier est basé sur un très fort potentiel. Le tourisme fait partie des secteurs que ce forum va porter pour appeler les investissements du monde arabe. C’est un forum d’enjeu majeur placé sous le haut patronage du chef de l’Etat et qui va permettre au Tchad de s’ouvrir vers les financements innovants et structurants surtout qui proviennent des pays arabes qui aimeraient beaucoup travailler avec le Tchad.

Quels sont les pays qui ont accepté de prendre part à ce forum ?

Il y a le Maroc, l’Algérie, l’Egypte, le Soudan, l’Arabie Saoudite, le Qatar, les Emirats Arabes-Unis, Oman et même l’Autriche qui, certes n’est pas un pays arabe mais qui abrite le siège de l’Opep (Organisation des pays exportateurs du pétrole) à travers son organisme Ofip, qui finance le développement dans le monde arabe et en Afrique. A l’heure actuelle, les demandes d’invitation et les dispositions pour la délivrance des visas sont bien avancées pour faciliter l’arrivée de nos partenaires financiers.

Concrètement, comment ce forum va se passer?

Il s’agit de concrétiser les annonces. L’ensemble des institutions financières arabes ont annoncé 1,2 milliard de francs Cfa à Paris en septembre 2017. Il s’agit premièrement de faire en sorte que cette enveloppe soit mobilisée à travers des projets d’investissements tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Nous privilégions le cadre Ppp, (Partenariat public privé) pour lequel une loi-cadre a été adoptée et il ne reste que le décret d’application. Ce sont des dispositions qui aident autant les dix autres facilités que nous mettrons en place pour inciter les partenaires à investir. Il s’agira d’aller même au-delà si possible pour que les gens signent même les accords de mémorandum d’entente pour se mettre ensemble et commencer à travailler. Tous les secteurs sont ouverts et l’Etat tchadien est disponible à offrir les accompagnements nécessaires pour faciliter les investissements.

Vous parlez justement de la loi-cadre sur le partenariat public privé mais on continue toujours de décrier la mauvaise qualité du climat des affaires. Qu’est-ce que cette nouvelle disposition peut changer pour l’homme d’affaire qui débarque demain à N’Djaména?

Il ne s’agit pas de nier la situation qui est préoccupante en matière de climat d’investissement au Tchad. Mais en le reconnaissant, le gouvernement fait amende honorable en disant que le problème existe mais il faut le prendre à bras le corps. Le chef de l’Etat a demandé à ce que les mesures incitatives qui ont été identifiées par les opérateurs économiques eux-mêmes lors de la semaine de la relance économique soient planifiées et résolues en termes d’application et qui facilitent progressivement un retour plus favorable pour les investissements au Tchad. Le chef de l’Etat a pris lui-même un décret pour créer le conseil présidentiel pour le climat des affaires qu’il va présider lui-même où il y aura les ministères de l’économie et de la justice, car il s’agit des aspects juridiques du climat des affaires où les opérateurs aimeraient s’assurer si leurs investissements peuvent être en totale sécurité ou pas. Il y a aussi la volonté politique, ce qu’il n’a pas manqué mais cette fois-ci le chef de l’Etat s’est engagé lui-même et l’ensemble du gouvernement voudrait s’assurer que le secteur privé qui a lui-même identifié les goulots d’étranglement puisse s’associer au gouvernement pour progressivement les résoudre. Dans ce cadre, avec la Banque mondiale, nous avons pris des initiatives d’organiser bientôt une grande réunion à N’Djaména sur le climat des affaires et avec l’accompagnement de l’Ohada pour la normalisation du climat des affaires et permettre que progressivement nous puissions aller vers un climat des affaires plus favorable aux investissements et de permettre aux gens de gagner de l’argent au Tchad et au Tchad de créer de l’emploi et de la richesse. Nous encourageons les institutions publiques à aller vers une normalisation du climat des affaires dont l’économie a besoin pour se diversifier et attirer les investissements extérieurs.

Qu’est-ce que ce forum Tchad-Monde Arabe peut apporter de plus dans le recouvrement des promesses du Pnd ?

Il faut reconnaitre qu’une partie de 1,2 milliards de francs Cfa annoncée à Paris a été déjà mobilisée, car la Banque africaine de développement (Bad), la Banque islamique de développement (Bid), l’Ofid, le fonds Koweitien et le fonds saoudien ont mobilisé une partie de leurs financements au Tchad. Nous souhaitons recouvrer le maximum de financement à travers les engagements financiers directs, tant par le secteur privé que par le secteur public. Le secteur privé a été intimement associé et apportera de très grands projets à ce forum. Il y a aussi l’Etat à travers certains ministères sectoriels qui vont porter des projets dans les infrastructures, l’agriculture, l’énergie, les Ntic. Il ne s’agit plus de dire «donnez-nous de l’argent seulement». Il faut que cet argent soit donné dans un cadre bien précis et basé sur des projets avec des études de faisabilités, des projets bancables et structurants. Ce forum qui précède celui que nous envisageons avec la Chine et la Turquie est un forum de mobilisation de ressources. Il s’agit d’une stratégie que le gouvernement a adoptée pour mobiliser concrètement les ressources qui ont été annoncées, sinon nous ne pourrons jamais mobiliser cet argent. Les gens ont annoncé et cinq ans après vous verrez que cet argent n’a jamais été mis à la disposition parce que simplement, les projets qui étaient présentés n’avaient pas qualité à être financés, car les gens présentent des fiches de projets que personne ne peut y investir son argent.

Depuis le Pnd jusqu’aujourd’hui, combien de millions ou de milliards ont été mobilisés et qu’est-ce qui reste ?

1.5 milliards ont été annoncés. Entre 2018 à nos jours, il y a eu des financements qui ont été libérés. Dernièrement, j’ai signé 18 milliards pour la route transsaharienne (Rts) et nous venons de signer le Parca pour 65 millions en plus des différents appuis budgétaires. Il s’agit de présenter le dernier rapport en 2018 pour avoir le niveau de réalisation en termes de mobilisation de ressources. Cependant, il est très important de préciser que la mobilisation est satisfaisante du côté du public mais elle est moins du côté privé du fait de l’état embryonnaire de ce secteur qui n’a pas pu présenter pour l’instant des projets avec des qualités requises qui permettent de susciter des financements. Aujourd’hui, c’est chose presque déjà réalisée parce que le secteur privé a fait un bond qualitatif dans cette direction tant avec l’appui du gouvernement que de manière individuelle. Les porteurs des projets privés ont réussit dans la plus part des cas à présenter avec des qualités dans l’ensemble des secteurs. Nous pourrons de ce fait aller vers les partenaires et leur demander de mobiliser de financements. D’ailleurs, ce forum est davantage présenté pour le secteur privé que pour le secteur public. Sur les 20 milliards de dollars annoncés à Paris, 60% sont consacrés au secteur privé. C’est vous dire combien le rôle du secteur privé est primordial et précieux dans ce processus de partenariat avec l’Etat tchadien, parce que le meilleur partenaire du Tchad est son secteur privé. S’il ne s’éclot pas, il n’y aura jamais de création d’emploi, de richesse pérenne pour permettre au Tchad d’espérer se développer.

Quel est l’état de l’économie ?

Le Tchad est en train de se relever, peut-être que vous n’apercevez pas. Le rapport présenté par le Fonds monétaire international lors de la dernière mission d’évaluation dans le cadre de facilité élargie de crédit a été satisfaisante. Avec le taux de croissance actuel, en 2020 nous espérons allers vers 6% ce qui permet au Tchad progressivement de créer de l’emploi et de la richesse. L’état de l’économie actuelle dépend des investissements en cours dans les secteurs essentiels que sont l’agriculture, l’élevage, l’énergie et les infrastructures auxquels l’Etat concentre ses forces. Avec nos partenaires, nous continuons à identifier d’autres secteurs tels que les mines. Nous avons décidé de structurer 10 agropoles qui concernent l’ensemble de sous secteurs de l’agriculture et de l’élevage sur les 21 identifiés dans le Pnd pour permettre au secteur privé et à tout porteur de projet d’avoir un cadre d’investissement pour satisfaire non seulement le marché local mais aussi le marché sous-régional. Nous sommes en train de travailler avec la sous-région pour l’exportation de la viande. Dans ce cas, les abattoirs de Moundou et N’Djaména ont obtenu des facilités de notre trésor public pour relancer leur achèvement après les difficultés liées au financement de la Bdeac. Pour l’instant, l’état de notre économie nous rassure, même si on sait que nous ne sommes qu’au début de ce relèvement.

Le Fmi et la banque mondiale disent être mal à l’aise avec le niveau d’endettement du Tchad. Qu’est-ce que vous pensez ?

La question de la dette tchadienne est préoccupante, ce qui a obligé le chef de l’Etat à instruire le gouvernement à ne s’engager désormais que dans les prêts concessionnels ou à faible taux. La question de Glencore est restée à ce moment précis une préoccupation. Nous sommes arrivés à la fin du moratoire mais les discussions avec cette société permettent de maintenir le dialogue et d’espérer gérer cette dette dans le cadre de notre partenariat avec la Banque mondiale et le Fmi et d’espérer que le règlement de cette dette soit fait, pas en hypothéquant les autres secteurs d’investissements pour lesquels les prêts doivent être orientés notamment l’énergie, les chaines de valeur et bien entendu dans les Ntic et dans les infrastructures. Donc la question de la soutenabilité de la dette est au centre de nos préoccupations. En réalité, le Tchad n’est pas aussi endetté que cela mais la question revient souvent en lien avec la dette Glencore. Aujourd’hui, avec notre mission à Washington aux réunions annuelles des Assemblées de printemps, nous avons pris attache avec la Banque mondiale et le Fmi et nous sommes en train de réfléchir pour faire le rebesing, c’est-à-dire, à revoir notre Pib pour l’évaluer de nouveau et tenir compte de nos potentialités.

Propos recueillis par Stanyslas Asnan