Une voix haut perchée, chaleureuse, portée par un instrument délicat , la Sanza : la musique de Solea Damas est à l’image de l’artiste, à la fois simple et profondément enracinée dans son terroir.
Troisième d’une fratrie de cinq enfants, Solea Damas (de son vrai nom Damas Yoasngar Gérard), artiste, musicien et facteur d’instruments traditionnels, est originaire du village de Bodo, dans la région du Logone Oriental. Bercé dès son enfance par les mélodies de sa grand-mère, cantatrice, qui lui transmet une éducation fondée sur les valeurs morales et humaines, il découvre très tôt sa sensibilité artistique. « C’est auprès d’elle, et des femmes du village que j’écoutais piler le mil en chantant, qu’est née ma fascination pour la musique », confie-t-il.
Fasciné non seulement par les sons mais aussi par le bois qui les produit, Solea développe également très tôt un goût prononcé pour l’artisanat. « J’ai aussi eu la chance de grandir à côté d’un menuisier qui m’a appris le travail du bois », raconte-t-il. Une compétence qui s’avérera précieuse pour la suite de son parcours.
En 2007, Solea Damas se lance pleinement dans la musique et compose ses premières chansons. Son style afro-acoustique, inspiré des rythmes du terroir tchadien et relevé d’airs orientaux, séduit progressivement le public. « Après une longue période de tournées, j’ai dû marquer une pause pour me consacrer à mes études », précise-t-il.
Il revient sur la scène en 2011 avec les titres “Komé Six“ et “N’Avorte Pas”, puis enchaîne en 2012 avec “Dounia Leum”, qui connaît un large succès.
« À cette époque , j’ai fait la connaissance du guitariste Honoré Solo, qui m’a appris les notions de base de l’accompagnement à la guitare. J’ai aussi participé à plusieurs festivals, dont Ndjam Vi », se souvient-il.
En 2018, il signe son premier album de huit titres, “Dounia Leum”.L’opus remporte le prestigieux Prix du Meilleur Album d’Inspiration Traditionnelle du Tchad aux VMTF Awards (4e édition).
Le retour aux sources et la naissance de “Kayakéndé”
Un an après l’album, Solea Damas ressent le besoin de se recentrer. C’est le début d’une quête identitaire profonde, marquée par une recherche autour des instruments traditionnels de musique à travers une série de voyages dans le Sud du Tchad.
« Chaque peuple doit se démarquer par sa culture, et un artiste doit être un ambassadeur de sa culture », affirme-t-il, justifiant sa démarche. Pendant deux ans, l’artiste Solea parcourt trois provinces (le Logone Oriental, le Mandoul et le Moyen Chari). Ces périples lui permettent de renouer avec les instruments de son enfance.
Il se forme à l’utilisation et à la fabrication d’instruments ancestraux : la harpe, le balafon et, surtout, la Sanza (un instrument bantou très présent dans sa région, pour lequel il développe une affection particulière) . Aujourd’hui, il intègre également la fabrication du mending, de la Kora et bien d’autres instruments africains à son répertoire d’artisan.
C’est en musicien accompli, aux confluences des cultures, qu’il revient à N’Djamena et fonde l’association culturelle « Kayakéndé ». Dans cet espace , Solea restaure et façonne à la main des instruments traditionnels qu’il fait ensuite résonner sur scène. Son travail méticuleux et son talent musical contribuent à la fierté du « Made in Tchad », inspirant une nouvelle génération d’artisans et d’artistes. « J’organise au sein de la structure des sessions de formation sur l’utilisation des instruments, et j’envisage d’étendre ces formations dans d’autres villes du pays. », précise-t-il.
Défis et perspectives d’avenir
Malgré son succès, Solea Damas se heurte aux difficultés inhérentes au milieu culturel tchadien.
« Nous exerçons dans des conditions très difficiles. Il faut composer, produire sa chanson… et tout cela demande de l’argent. Il n’existe pas de structure d’accompagnement », déplore-t-il. Son premier soutien reste le public : « Il paie mes concerts et achète les instruments que je fabrique. C’est ce qui me permet d’avancer », souligne- t-il.
Pour l’avenir, l’artiste ne manque pas de projets. Alors qu’il prépare la sortie de son deuxième album, annoncée pour 2026, Solea Damas, fidèle à sa mission, continue de promouvoir les valeurs culturelles tchadiennes à travers ses instruments, ses écrits et ses paroles. Il encourage les jeunes à croire en leur talent et à se reconnecter à leurs racines. Car, comme il aime à le rappeler : « Un artiste est un ambassadeur de sa culture. Le patrimoine culturel du Tchad est immensément riche. Le pays reste comme un désert inexploré. Il faut retourner aux sources, observer les instruments de nos grands-parents pour mieux nous imposer. »
Kedaï Edith


