Par Dany Danzoumbé Padiré
Elle est une expression qui revient souvent comme un refrain dans les discours des dirigeants tchadiens : « vivre ensemble ». De la présidence à la moindre cérémonie officielle, en passant par les forums de dialogue national, l’appel à la cohésion sociale est omniprésent. Mais derrière les déclarations de bonne volonté, une question dérange : pourquoi le Tchad, plus de 30 ans après les premières tentatives, n’a-t-il toujours pas adopté un Code de la famille ?
Le Code de la famille, censé encadrer des sujets essentiels comme le mariage, le divorce, la filiation ou l’héritage, est depuis des années dans les tiroirs des ministères. Plusieurs versions ont été rédigées, plusieurs ministres s’y sont attaqués… en vain. Le texte semble trop lourd à porter pour nos dirigeants. Trop sensible, trop explosif, diront certains. Car il touche à ce que la société tchadienne a de plus délicat : la rencontre entre droit coutumier, normes religieuses et aspirations modernes.
Le grand tabou : les droits des femmes
Au cœur du blocage, la question des droits des femmes. Le Code, dans ses versions les plus progressistes, prévoit par exemple un âge légal du mariage à 18 ans, la monogamie par défaut, la protection des enfants et des garanties en cas de divorce. Autant de dispositions qui se heurtent à la résistance de certains leaders religieux ou communautaires, qui y voient une remise en cause de leurs traditions ou de leur autorité. Résultat : l’État recule, temporise, évite le débat. Pendant ce temps, des milliers de femmes et d’enfants vivent sans protection juridique claire, à la merci de pratiques arbitraires ou discriminatoires.
Dans ces conditions, le « vivre ensemble » tant vanté prend des allures de slogan creux. Car peut-on réellement parler de cohésion sociale sans un cadre juridique commun pour régir la cellule de base qu’est la famille ? Le refus d’adopter le Code revient à entretenir une société à plusieurs vitesses, où les droits ne sont pas les mêmes selon qu’on vive à N’Djamena, à Abéché ou à Moundou.
Derrière ce refus persistant, se cache une vérité dérangeante : l’État, même s’il a le pouvoir, ne veut pas affronter les forces conservatrices qui refusent tout changement. Il préfère ménager les susceptibilités que protéger les plus vulnérables. Ce silence, ce report permanent, pose une question simple : à quoi sert un État qui n’a pas le courage de faire avancer le droit ?
Le Tchad est à un tournant. Alors que le pays vient de tourner définitivement la page des transitions à répétition, et cherche à construire un avenir stable et équitable, le Code de la famille devrait être une priorité nationale. Pas seulement pour des raisons juridiques, mais parce qu’il symbolise le pacte social que nous voulons bâtir ensemble. Le vivre-ensemble ne se décrète pas. Il se construit. Et cela commence par des lois justes, claires, et applicables à tous.
Mariage chrétien-musulman, nordiste-sudiste : Une voie vers le vrai vivre-ensemble au Tchad ?
Alors que les discours sur l’unité nationale et le vivre-ensemble se multiplient, une question demeure : comment traduire ces idéaux dans la vie quotidienne des citoyens ? Et si la réponse se trouvait dans un espace intime, mais hautement politique : le mariage interreligieux et intercommunautaire ?
Dans un pays où les fractures religieuses et géographiques sont souvent instrumentalisées à des fins politiques, l’union entre un chrétien et une musulmane, ou entre un Sudiste et une Nordiste, apparaît comme un acte fort, presque subversif – un geste qui défie les récits de méfiance et les frontières mentales.
Plus qu’une alliance sentimentale, le mariage mixte peut devenir un véritable laboratoire du vivre-ensemble, où les différences ne sont pas effacées, mais reconnues, discutées et intégrées dans un nouveau cadre commun. Ces couples apprennent à négocier leurs traditions, leurs pratiques religieuses, l’éducation des enfants, les langues, les coutumes – autant de défis que le pays lui-même peine à relever.
Là où la politique échoue à rassembler, l’amour, parfois, réussit. « J’ai appris à mieux comprendre l’islam à travers mon mari, et lui découvre ma culture chrétienne chaque jour », a confié une femme sudiste de confession protestante mariée à un musulman du Nord. Leur foyer est un microcosme du Tchad pluriel : complexe, mais uni par le respect mutuel.
Quid du mariage d’un chrétien à une fille musulmane ?
Des familles s’y opposent, des chefs religieux les découragent, au nom de….Dieu Seul sait, et des communautés les isolent. Certains couples vivent même sous la menace de ruptures ou de représailles symboliques. Car ces mariages bousculent des lignes de séparation bien enracinées, souvent entretenues par une vision conservatrice de la religion ou de l’ethnie.
Le droit tchadien, lui-même, ne facilite pas ces alliances. Encore qu’on le lui autorise…pauvre Droit ! Et pour cause, l’absence d’un Code de la famille.
Dans notre pays où la diversité religieuse et culturelle est souvent perçue comme source de tension, le mariage entre un chrétien et une musulmane reste souvent tabou. Et pourtant, ces unions mixtes recèlent un potentiel immense pour consolider le vivre-ensemble dans un pays en quête de cohésion nationale. Bien plus qu’une simple alliance conjugale, c’est un acte de réconciliation silencieuse, un pont entre deux mondes que l’histoire et la politique ont parfois opposés. Copions les bons exemples dans les pays dits frères et ou amis comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire et bien dans lesquels il est difficile de catégoriser les mariés et dont la cohabitation pacifique n’est pas vaine.
Lorsqu’un chrétien épouse une musulmane, ce n’est pas seulement deux personnes qui s’unissent, ce sont deux univers culturels et religieux qui choisissent de dialoguer plutôt que de s’ignorer. Dans un pays où l’appartenance religieuse est souvent corrélée à l’origine géographique : Nord musulman, Sud chrétien, une telle union défie les catégorisations rigides et démontre que l’identité n’est pas un mur, mais un pont possible. Ce type de mariage oblige au respect mutuel, à la connaissance de l’autre, à l’apprentissage de ses pratiques et de ses valeurs. Il impose des compromis, non dans la foi, mais dans la cohabitation. C’est une école de tolérance en miniature, qui peut inspirer la nation entière. Dans d’autres pays, comme le Liban ou le Nigeria, ces unions ont parfois été des vecteurs de paix ou des ponts entre communautés autrefois antagonistes.
Un des défis majeurs de ces unions est l’éducation des enfants. Mais là encore, loin d’être un obstacle, c’est une opportunité de transmettre des valeurs partagées : la paix, la tolérance, l’acceptation de l’autre. Ces enfants grandissent dans un double héritage, religieux et culturel, et développent souvent une intelligence sociale qui leur permet de naviguer avec aisance dans la diversité. Dans un Tchad où les clivages sont parfois entretenus dès le plus jeune âge, ces familles mixtes peuvent devenir des modèles vivants d’une citoyenneté ouverte, capable d’unir au lieu d’exclure.
Dans un contexte marqué par la méfiance communautaire, se marier hors de son groupe religieux ou ethnique est un acte de courage. C’est refuser que la peur guide les choix de vie. C’est résister, pacifiquement, aux injonctions du groupe, aux normes sociales figées, à la logique du « chacun chez soi ». Ces couples, souvent silencieux et discrets, mènent pourtant un combat profond pour la paix sociale, en choisissant l’amour, la coexistence et le respect comme principes de vie. Et pour que ces unions deviennent une véritable force de consolidation nationale, elles doivent être reconnues, protégées et valorisées. L’État tchadien a un rôle à jouer : en adoptant un Code de la famille clair et inclusif, en garantissant la liberté religieuse dans le cadre conjugal, en assurant les droits des conjoints et des enfants.
De leur côté, les leaders religieux doivent faire preuve d’ouverture et d’accompagnement, en dépassant les postures doctrinales rigides pour reconnaître la dimension humaine et sociale de ces mariages. Le mariage chrétien-musulman ou nordiste-sudiste ne peut pas être la seule solution au vivre ensemble, mais il en est un marqueur puissant. Il oblige au respect, à la discussion, au compromis – bref, aux valeurs que toute société pluraliste doit incarner.
À une époque où le Tchad cherche désespérément à se redéfinir, ces unions mixtes montrent une voie possible : celle de l’unité vécue, pas seulement proclamée car, ce n’est pas dans les grandes déclarations politiques que le vivre-ensemble prendra racine au Tchad. C’est dans les foyers, les familles, les gestes simples du quotidien. Un mariage entre un chrétien et une musulmane, loin de diviser, peut unir deux clans, deux villages, deux traditions. C’est là, dans ce choix de vie audacieux, que se trouve peut-être le plus puissant message d’unité nationale : nous pouvons aimer au-delà de nos différences.


