Président du parti Les Transformateurs et sérieux challenger de l’actuel Chef de l’Etat à l’élection présidentielle du 6 mai 2024, Succès Masra a été arrêté illégalement à N’Djaména, à l’aube du 16 mai 2025 et condamné le 9 août 2025 à 20 ans de prison, pour complicité de meurtre de 42 personnes le 14 mai 2025 à Mandakao, village situé à quelques 500 km de N’Djaména. Cette sentence prononcée à la suite d’un procès notoirement inique et que ses avocats ont qualifié de parodie, est digne des pires autocraties. L’organisation sans anicroche de ce flagrant déni de justice, dans un climat de démission quasi-universelle à l’égard des droits de l’homme et de compétition exacerbée entre les puissances économiques anciennes et émergentes (Turquie, Qatar, etc.), autorise aujourd’hui l’instrumentalisation de la justice et l’instauration d’une prison géante pour les citoyens tchadiens
Pour rappel, sans mandat d’arrêt préalablement décerné, Succès Masra Succès est accusé par le système judiciaire tchadien d’« incitation à la haine », « appel à la révolte », « complicité d’assassinat », « incendies volontaires » et « profanation de sépultures », sur la base d’un enregistrement audio. La preuve essentielle de cette cabale judiciaire date du 26 mai 2023. Cet élément, diffusé en son temps à travers les réseaux sociaux, avait été élaboré dans le contexte des conflits agriculteurs-éleveurs où l’Etat tchadien brille par la partialité de ses représentants locaux et centraux. Le mandat d’arrêt international lancé en juin 2023 contre Succès Masra suite à cette publication, a été officialisé en aout 2023 lorsque l’opposant avait alors déclaré son intention de regagner son pays. Manifestement, ceci avait pour but de tenter de le dissuader de faire le retour au pays ainsi annoncé. En effet, figure majeure de l’opposition politique nationale, il avait dû quitter le Tchad in cognito pour échapper aux tueries massives d’octobre 2022 contre, principalement, les militants de son parti, lesquels avaient manifesté avec la société civile contre le prolongement illégitime de la période de transition conduite de façon anticonstitutionnelle par Mahamat Idriss Déby Itno (MIDI) après le décès de son père.
A la faveur de l’accord de Kinshasa du 31 octobre 2023, Succès Masra est rentré à N’Djaména le 3 novembre 2023, après la levée du mandat d’arrêt, le 2 novembre 2023. Comme prévu, lui et ses militants ont bénéficié d’une loi d’amnistie adoptée le 23 novembre 2023, annulant toutes les poursuites engagées antérieurement. La prompte exhumation de cet enregistrement, une semaine avant les évènements de Mandakao, et son usage abusif en preuve iconoclaste de la complicité de son auteur dans un crime dont les responsables réels ne sont pas identifiés de manière rigoureuse, confirme le véritable dessein de MIDI depuis sa prise de pouvoir à la mort de son père : réduire au silence une voix annonciatrice d’une rupture avec une dynastie en voie de cristallisation. Dans un tel environnement, comme le Ministre de la justice, l’ancien Procureur de la république Youssouf Tom, l’a lui-même reconnu peu après sa désignation à ce poste, l’absence de justice au Tchad est indéniable.
La reconnaissance par Succès Masra de l’élection très controversée de Mahamat Idriss Déby Itno, au nom de la préservation de la paix et de la mobilisation de tous les filles et fils du Tchad à la construction d’un meilleur avenir pour leur pays, n’a pas dissipé la volonté de ce dernier d’y régner sans partage. En janvier 2025, l’attaque troublante du palais présidentiel par une vingtaine de personnes munies d’outils de chantier (pelles, etc.) semblait déjà, au vu des déclarations empressées du Ministre de la communication, être orchestrée pour constituer un alibi de poids pour l’implication et l’incarcération de Succès Masra qui, fort heureusement, était absent du pays. La main tendue offerte par le Président proclamé à ses opposants politiques s’est vite muée en un menaçant poing brandi !
Cinq ans environ après la prise de pouvoir par MIDI, ni la sécurité au nom de laquelle l’arrangement anticonstitutionnel d’avril 2021 a été commis puis accepté par l’Union africaine, l’Union européenne, les Nations Unies, etc., sous l’orientation de la France, ni la cohésion sociale et le développement économique promis, ne sont fournis aux tchadiens. En avril 2024 notamment, International Crisis avait établi que les conflits agropastoraux étaient devenus plus fréquents. Par ailleurs, l e Tchad est 190ème sur 193 pays sur le classement de l’indice de développement humain, avec un score de 21/100 sur l’indice sur la corruption de Transparency international, très inférieur à la moyenne identique des pays africains et des pays non-démocratiques (33/100) et de la moyenne mondiale (43/100).
La refondation de l’Etat attendue de la transition et des résolutions du Dialogue national non inclusif et souverain de juillet-septembre 2022, est un mirage. En revanche, l’explosion de la corruption, bien réelle quant à elle, a permis d’asseoir un système de prédation des ressources nationales où le musèlement des dirigeants politiques, des associations de la société civile, des journalistes et des citoyens libres de leur parole s’avère être une condition impérieuse pour le régime au pouvoir.
Aujourd’hui, avec un contrôle entier de l’Etat, consécutif à un processus électoral peu transparent, dirigé par des personnalités dévouées au clan depuis des lustres ou cooptées non pas sans contrepartie généreuse, le Tchad s’enfonce inexorablement dans le totalitarisme. A la suite de la révision constitutionnelle du 9 octobre 2025, introduisant notamment un nombre de mandats illimité et la possibilité de différer l’organisation des élections aux diverses fonctions tenues à cette obligation, après les termes convenus, la présidence à vie est désormais ouverte pour MIDI. Elle pourrait être une étape avant l’érection éventuelle d’un empire ou d’un sultanat tant la recherche d’un pouvoir absolu parait guider celui-là qui n’était intervenu que temporairement le 20 avril 2021, pour éviter que le Tchad ne sombre dans l’insécurité !
De fait, la sécurité considérée par le pouvoir comme une priorité au même titre que la santé et l’éducation, est le seul véritable justificatif de l’attention que la communauté internationale porte sur le Tchad, avec sans doute aussi la richesse de ses ressources naturelles. Ce besoin nébuleux concentre une proportion quasi indéterminée des ressources budgétaires, avec des dépenses hors contrôle indépendant et une faible efficacité vu la fréquence des conflits sanglants à l’intérieur et la vulnérabilité vis-à-vis de Boko Haram. Par ailleurs, les risques liés aux rebellions armées sont de plus en plus accrus, alors qu’ils étaient censés être très amoindris étant donné la réconciliation officielle avec la plupart des mouvements politico-militaires ayant participé au Dialogue National Inclusif et Souverain.
A posteriori, on peut conclure que le glas de l’Etat de droit avait définitivement sonné le 21 avril 2021, alors que le 1er décembre 1990, Déby père proclamait qu’il n’apportait ni or ni argent mais la démocratie aux tchadiens. Malgré trois nouvelles républiques et autant de nouvelles constitutions, l’immense majorité de la population, dans toutes les régions, ne voit à l’horizon que misère et soumission. Aussi, à l’heure où les bailleurs de fonds et les investisseurs privés étrangers sont invités à un Forum à Abu Dhabi pour soutenir la réalisation du Plan national de développement du Tchad 2025-2030, il est crucial que la vie des tchadiens soit vraiment au centre des préoccupations.
Pour que ce plan, comprenant presque à chaque page le terme inclusion, ne serve pas, en définitive, essentiellement qu’à aggraver la répression des tchadiens et la corruption, nous demandons urgemment que ses contributeurs financiers et techniques fassent inscrire, dans ses programmes « justice, paix et sécurité », la libération immédiate de Succès Masra et des condamnés des délits politiques et d’opinions, l’examen immédiat préalable de la situation de l’ensemble des condamnations litigieuses, des personnes disparues, la proscription de la torture, etc., avec la garantie du rétablissement des droits civiques des personnes injustement mises en cause. En attendant la fin de cet examen, ces prisonniers, dont la plupart sont gravement malades, à l’exemple de Succès Masra, doivent être placés en résidence surveillée. Ces interventions, conformes à la Déclaration universelle des droits de l’homme, redonneront l’espoir aux tchadiens et tchadiennes actuellement sans perspectives sociale et politique réjouissantes.
Djimadoum Mandekor
Kaar Kaas Sonn


