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Un an après le Dialogue national, des nuages gris s’amoncellent toujours dans le ciel tchadien

Un an après le Dialogue national, des nuages gris s’amoncellent toujours  dans le ciel tchadien 1

Le Dialogue national inclusif et souverain (Dnis) s’est tenu au Tchad du 20 août au 8 octobre 2022 suite au vide institutionnel et politique créé par la disparition soudaine du chef de l’Etat Idriss Deby Itno en avril 2021. Il était aux yeux de nombreux Tchadiens comme des observateurs avisés de la scène politique tchadienne, l’ultime occasion, après tant d’espoirs déçus et d’engagements non tenus, de voir enfin les enfants du pays de Toumaï fumer le calumet de la paix.

Les attentes étaient d’autant fortes que ce n’était pas la première fois que les Tchadiens se retrouvaient autour d’une table, prenaient des résolutions généreuses et républicaines pour l’avenir de leur pays, mais renouaient avec les vieux démons du passé aussitôt les lampions éteints. La Conférence Nationale Souveraine de 1993 est encore dans toutes les mémoires, tant pour la qualité de son catalogue de bonnes intentions que pour leur relégation aux oubliettes par le système gouvernant chargé de les implémenter.

Éviter les errements du passé

C’est fort opportunément, en référence à ces errements du passé que dans son allocution à l’ouverture des travaux des assises du 20 août 2022, Moussa Faki Mahamat, en sa qualité de président de la Commission de l’Union africaine, mais également fils du pays, s’est fendu de ce propos qui résonnait comme une exhortation des Tchadiens à conjurer enfin l’éternel retour tragique de l’histoire : « L’histoire, une fois encore vous rassemble, non pour cette sempiternelle œuvre de Sisyphe à laquelle nous a habitués l’évolution politique du Tchad, mais pour l’élaboration d’un solide contrat à durée illimitée d’un Tchad de justice, de paix et de progrès ».

Le mot de clôture du président du Conseil militaire de transition, Mahamat Idriss Déby Itno et son engagement à conduire sans hésitation ni louvoiement la transition dans le sens des résolutions de ce dialogue est apparu comme annonciateur d’une ère nouvelle. La nomination au poste de Premier ministre (le 12 octobre 2022) du président de l’Union nationale pour le développement et le renouveau (Undr), Saleh Kebzabo, l’opposant historique à Idriss Déby Itno est apparue tout autant comme un gage d’ouverture qu’une volonté de rassemblement. Le gouvernement de large ouverture constitué dans la foulée (le 14 octobre 2022) s’inscrivait dans la même dynamique avec la nomination de personnalités politiques fortes à l’instar de Laoukein Kourayo Médard, l’ancien Maire de Moundou, la capitale économique, arrivé troisième lors de la présidentielle de 2016, aux fonctions de Ministre d’Etat, en charge de la production et de la transformation agricole ; ou encore de Mahamat Ahmat Alhabo à la tête du ministère de la justice garde des sceaux, chargé des droits humains. Plus emblématique, la nomination de l’un des responsables politico-militaires et partie prenante des négociations de Doha, Tom Erdimi au poste de ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation.

Engagements forts

Il ne s’agit cependant pas du premier gouvernement d’ouverture au Tchad depuis l’amorce du processus de démocratisation au début des années 90. C’est dire que le processus d’inclusion politique pour la séquence politique en cours comme pour les années à venir, doit être traduit en actes sur d’autres terrains que celui de l’attribution de strapontins ministériels et autres positions de pouvoir à des formations politiques amies ou concurrentes, comme c’est d’usage dans la quasi-totalité des Etats post-conflits en Afrique, sans que le peuple souverain en tire des dividendes pour la cohésion sociale et une paix durable.

Crispation du climat politique

À cet égard, les manifestations du 20 octobre 2022 des forces politiques et des organisations de la société civile opposées au DNIS, les dégâts matériels qu’elles ont engendrés et l’ampleur de la répression qui s’en est suivie, ont contribué à crisper le climat socio-politique bien plus qu’il ne l’était avant le Dialogue national inclusif et souverain. Cette descente massive de Tchadiens dans la rue, au-delà de son cortège de drames, est la preuve que beaucoup reste à faire sur le chantier de l’inclusion des Tchadiens dans le processus de refondation en cours.

Comme nous l’affirmions dans notre ouvrage, Essai sur la Refondation du Tchad, ce pays est depuis son accession à l’indépendance englué dans une sorte de grisaille, une trajectoire le long de laquelle il n’a connu « ni guerre, ni paix », s’il nous est permis de paraphraser Raymond Aron. Les évènements du 20 octobre 2022 sont venus nous rappeler l’extrême fragilité de nos fondations communes et l’urgente nécessité de les renforcer durablement, au risque de voir voler définitivement en éclats le consensus mou qui nous tient lieu de vivre ensemble.

Introspection et consensus

Pour y parvenir, nous estimons que l’An I du Dialogue national inclusif et souverain doit être pour chacun des Tchadiens, y compris ceux qui avaient opté pour la politique de la chaise vide, l’occasion d’une introspection pour donner une ultime chance à la paix durant le temps qui nous est imparti jusqu’au terme de cette période transitoire, initialement fixé à 2024. Cette reprise du dialogue, qu’elle se fasse par des canaux formels ou informels, nous semble indispensable pour diverses raisons.

Entre tous les acteurs politiques, y compris les mouvements les plus en vue de la société civile, il existe un consensus sur la nécessité de voir les prochains scrutins organisés dans un contexte pacifié et marqué du sceau de la transparence, de l’équité et de la participation la plus large possible des Tchadiens ; qu’il s’agisse du référendum sur l’adoption du nouveau projet de Constitution du 17 décembre 2023 ou des élections générales de l’année prochaine. Or ces conditions ne peuvent être réunies si les uns et les autres continuent de se regarder en chiens de faïence ; la tenue de ces scrutins, dans un contexte aussi délétère, ne serait même pas envisageable.

Au plan sécuritaire, les récents affrontements entre l’armée et des groupes rebelles dans le nord du pays ne rendent que plus impérieuse la nécessité d’un large consensus entre les acteurs politiques républicains. Leurs divisions en cette période charnière et dans cette dernière ligne droite qui nous conduit vers ces scrutins décisifs, donneront du grain à moudre à ces seigneurs de guerre qui se verraient ainsi confortés dans leurs menées bellicistes, au grand dam du peuple tchadien.

Le retour annoncé de Succès Masra, le leader du parti Les Transformateurs, semblait pourtant annonciateur de cet indispensable dégel dans le ciel politique tchadien. Or, la divulgation récente, sur les réseaux sociaux, d’un mandat d’arrêt international émis contre l’opposant politique rend de nouveau incertaine la météo politique des prochaines semaines. Les chefs d’inculpation, entre autres, de tentatives d’atteinte à l’ordre constitutionnel, atteinte à l’autorité de l’État, incitation à la haine et à un soulèvement insurrectionnel, atteinte à l’intégrité du territoire national, atteinte contre les institutions de l’État, laissent présager une fin de transition pour le moins tumultueuse, à moins que ne l’emporte dans les esprits une ferme volonté d’apaisement et de réconciliation nationale.

En dépit des ratés à mi-parcours de la transition, des couacs, des moments de tensions et d’incertitudes, le président de transition Mahamat Idriss Déby, comme il en a pris l’engagement dans son discours de clôture du Dnis, détient encore l’initiative de la paix et de la réconciliation nationale : « Nous sommes dans un dialogue continu, permanent, pour bâtir une Nation qui nous rassemble et qui nous ressemble. J’y veillerai sans relâche ».

Par Éric Topona, journaliste