COVID-19Economie

Nourrir l’Afrique malgré la maladie

Nourrir l’Afrique malgré la maladie 1

Pour élever un enfant, on a besoin d’un village, aiment à dire les Africains. Mais on pourrait aussi bien arguer du contraire: pour élever un village, on a besoin d’un enfant.

Un enfant à qui l’on offre un repas scolaire, c’est un enfant qui reste en classe et s’instruit. La pression économique qui pèse sur la famille diminue. Avec le temps, l’effet combiné de l’instruction et d’une bonne nutrition en bas âge se ressent au niveau de communautés entières, posant les bases de sociétés plus saines et plus productives. Des études réalisées sous l’égide de l’Union Africaine montrent que si les États du continent étaient libérés de la malnutrition infantile, ils pourraient enregistrer une hausse du PIB pouvant aller jusqu’à 16 pour cent.

À l’inverse, si l’on ferme l’école, l’enfant n’aura plus accès au repas scolaire. Les familles se trouveront en difficulté. L’enfant risquera l’émaciation. À la longue, la vitalité économique s’éteint. Les sociétés perdent pied. La promesse du développement s’évanouit, inaccomplie.

Comme la plupart des autres pays, les pays d’Afrique ont réagi à la crise du COVID-19 en fermant les écoles et les activités commerciales et en limitant la liberté de mouvement des personnes. Et si dans les pays riches de telles mesures supposent des choix difficiles, dans le contexte africain, ces choix sont déchirants. Avec des taux élevés d’insécurité alimentaire, une forte main-d’œuvre informelle, des systèmes de santé fragiles, de faibles dispositifs de protection sociale et une marge de manœuvre budgétaire limitée, les pays africains – dont beaucoup sont déjà confrontés à d’autres crises comme les criquets pèlerins et les sécheresses – risquent d’hypothéquer leur avenir dans l’espoir de protéger leurs populations.

Afin d’éviter des dommages irréparables, les confinements pour cause de coronavirus en Afrique doivent s’assortir de mesures d’atténuation rapides et résolues. Les gouvernements devraient notamment – avec l’appui de donateurs, d’organismes multilatéraux, d’ONG et d’acteurs du secteur privé – faire appel aux programmes de protection sociale là où ils existent, et en créer de nouveaux partout ailleurs. Si le besoin est particulièrement ressenti dans les régions rurales, les villes sont confrontées à un risque majeur en termes de stabilité sociale: une attention urgente est donc nécessaire dans les deux cas. Le moment est venu de distribuer nourriture et argent comptant directement aux ménages.

Il va sans dire que la protection de la vie et de la santé est prioritaire, mais la production alimentaire et les moyens d’existence viennent juste après. Et c’est pour cela que les activités agricoles doivent être maintenues. Les frontières doivent rester ouvertes pour le transport des biens alimentaires et agricoles: on ne doit pas permettre que le COVID-19 réduise à néant les progrès, obtenus au prix d’un patient travail ces dernières années, vers une plus grande libéralisation des échanges.

De plus, aucun effort ne devrait être négligé qui irait dans le sens d’un accroissement de la quantité et d’une amélioration de la qualité des produits agricoles. Produire plus et mieux signifie renforcer les capacités. Toute l’assistance technique nécessaire pour ce faire doit être mise à disposition. Aujourd’hui, nous avons besoin d’approches qui soient tournées vers l’avenir, avec des chaînes d’approvisionnement plus courtes et des outils de commercialisation innovants qui permettent de mettre en contact le producteur avec le consommateur via le cybercommerce.

En prenant toutes les précautions nécessaires, les semences et le matériel de plantation doivent continuer à arriver aux petits exploitants, les aliments pour animaux et les soins vétérinaires doivent être fournis aux communautés qui dépendent de l’élevage et les intrants de l’aquaculture, aux pisciculteurs. Les chaînes d’approvisionnement agricoles doivent être maintenues par tous les moyens, tout en observant les mesures de sécurité sanitaire. Les calendriers agricoles doivent être respectés, faute de quoi des récoltes vitales pourraient être perdues et certaines plantations rendues impossibles, ce qui nuirait encore davantage à la disponibilité alimentaire. De même, il faut que les éleveurs – acteurs essentiels de la sécurité alimentaire dans certaines zones de l’Afrique – puissent continuer à avoir accès aux pâturages. Les réserves alimentaires stratégiques d’urgence, liées aux plans de protection sociale, doivent être surveillées et restockées.

Une annulation des récoltes cette année aurait des conséquences catastrophiques. En revanche, c’est le moment ou jamais de mettre fin aux pertes après récolte en encourageant les investissements dans les équipements de stockage et la réfrigération. En même temps, la chute du prix de l’énergie pourrait marquer un passage historique vers la mécanisation.

Les prévisions économiques indiquent que le PIB des pays riches pourrait fondre d’un tiers au deuxième trimestre de l’année. Aucun pays ne peut se permettre le luxe d’ignorer un effondrement d’une telle ampleur. L’écart qui sépare les familles africaines de la faim est si mince, et les défenses dont les sociétés disposent pour lutter contre la catastrophe sont si précaires, que si l’on ne prend pas les mesures nécessaires dès le début, une tragédie nous attend à la fin. Dans un tel contexte, les pays africains devraient protéger, promouvoir et renforcer encore davantage les échanges interrégionaux.

Conscients de cette urgence, la FAO, les ministres de l’agriculture de l’Union Africaine et les partenaires internationaux se sont réunis virtuellement à la mi-avril pour s’engager à réduire aux maximum les perturbations dans le système alimentaire en Afrique, tout en continuant à œuvrer pour maîtriser la pandémie. Les mesures prévoient, entre autres, l’autorisation de traverser les frontières pour les biens alimentaires et agricoles, et la fourniture d’une aide directe aux citoyens africains – de préférence, et si possible, sous forme de monnaie électronique ou de coupons. L’Union européenne, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement ont toutes promis un appui de plusieurs milliards de dollars EU, sous forme de financements, neufs et réorientés, et sous forme d’assistance technique.

Notre détermination est forte de notre expérience. L’épidémie d’Ebola a engendré une très importante diminution de la production alimentaire dans les régions touchées. Avec le COVID-19, nous pouvons éviter qu’une telle catastrophe se reproduise. Tout ne dépend pas de nous. Mais ce qui dépend de nous se doit d’être fait.

QU Dongyu est le Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

Mme Josefa Sacko est la Commissaire de l’Union Africaine chargée de l’économie rurale et de l’agriculture.

Mme Thokozile Didiza est Ministre de l’agriculture, de la réforme agraire et du développement rural d’Afrique du Sud et Présidente du Comité technique spécialisé dans l’Agriculture de l’Union Africaine.