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« Il urge d’adopter dans la Cemac une directive sur la protection des lanceurs d’alerte » Djimadoum Mandekor, économiste

« Il urge d’adopter dans la Cemac une directive sur la protection des lanceurs d’alerte » Djimadoum Mandekor, économiste 1

Gouvernance, réformes, les dossiers qui attendent les chefs d’Etats ce mercredi lors du sommet de Bangui risquent d’êtres explosifs. Regard de l’économiste Djimadoum Mandekor, retraité de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale sur l’état de l’institution sous régionale.

Un sommet de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) est prévu ce 10 septembre 2025 à Bangui. D’après vous, quels seront les principaux points qui seront abordés lors de cette rencontre ?

La Commission de la CEMAC, comme l’ensemble des autres institutions de cette communauté sous-régionale ayant une communication pauvre, il faut consulter les oracles pour connaître l’objet des discussions du sommet de Bangui ! Mais, neuf mois après la conférence extraordinaire des chefs d’État de décembre 2024, on s’attend à ce que le bilan des actions menées depuis cette date soit évalué. Il devrait, entre autres, porter sur l’accomplissement des nombreux engagements pris sur la consolidation des finances publiques des différents pays membres ;  la fourniture régulière de statistiques fiables au FMI , une des conditions de ses prêts ; le rapatriement et la domiciliation des recettes d’exportation pétrolières ; ainsi que la préservation de la solidité et de la stabilité du système bancaire, etc.

Cette réunion devrait sans doute aussi être l’occasion de nommer le nouveau membre gabonais du gouvernement de la Banque des États de l’Afrique centrale, le précédent ayant été rappelé par son pays en janvier 2025 pour des motifs réels non divulgués, cachant mal des querelles internes. Cette décision dévoile d’ailleurs une entorse aux dispositions réglementaires, car le mandat de haut responsable des institutions de la CEMAC, accordé qu’une seule fois, est irrévocable. Il ne peut être interrompu qu’unanimement par les Chefs d’État, essentiellement à titre de sanction. Pour ce remplacement, attendu depuis neuf mois, il se murmure qu’un informaticien, comme le gouverneur et d’autres membres de son cabinet, serait en pole position, tandis que le responsable démissionné n’aurait pas dit son dernier mot ! On nage toujours ainsi en plein dans les eaux troubles de la CEMAC !

Qu’en est-il de la question de l’avenir du Franc FCFA sur laquelle les Chefs d’Etat s’étaient prononcés en novembre 2019 ?

Ça, c’est la question qui fâche ! Elle est à réserver au gouverneur de la BEAC et au président de la Commission de la CEMAC, désignés pour mener « une réflexion approfondie sur les conditions et le cadre d’une nouvelle coopération » avec la France et proposer, dans « des délais raisonnables,  un schéma approprié conduisant à l’évolution de la monnaie commune ». Malgré un rappel fait au 15e sommet de l’organisation, de  mars 2023, rien ne ressort des résolutions proclamées il y a bientôt six ans.

Vous remarquez ici que le sommet ordinaire de cette semaine est le 16e, trois ans après le dernier, alors que la règle est celle d’une session annuelle. Dans la sous-région voisine, à l’UEMOA, les chefs d’État se rencontrent deux fois par an.

À l’évidence, aucun empressement n’est démontré dans l’examen de cette question que nos dirigeants voudraient sans doute nous faire oublier. Ils s’accommodent parfaitement de la zone franc et semblent craindre de ne pouvoir maîtriser une gestion autonome de notre monnaie, 65 ans après l’indépendance de nos États et leur attachement déclaré à la souveraineté totale de chacun des pays. Ils n’ont pas confiance eux-mêmes aux responsables qu’ils nomment ! De plus, leur manque d’ambition nationale et communautaire s’illustre par le fiasco du candidat de la CEMAC à l’élection récente du président de la BAD, éliminé au premier tour avec 0,52 %, alors que l’Afrique centrale, jamais représentée à la tête de la BAD, pouvait bénéficier d’un accord implicite sur la rotation régionale à ce poste.

La tiédeur de la volonté politique d’intégration sous-régionale et de développement de nos économies est si flagrante que le site internet de la Commission de la CEMAC, parlant d’« une volonté politique commune clairement assumée au service des peuples de l’Afrique Centrale», fait sourire.

Un journal en ligne de la sous-région évoque un autre sujet possible à débattre au sommet de Bangui : la gestion « à polémique » du président actuel de la Commission de la CEMAC, en citant une énorme surfacturation et l’inexécution d’une décision de la Cour de justice de la CEMAC concernant des mesures prises par l’ancien président de ladite Commission avant son départ.

Peu de détails sont donnés sur cette affaire de surfacturation qui s’élèverait à 1,3 milliard de FCFA pour des travaux au siège du Parlement de la CEMAC à Malabo, dont le coût réel ne dépasserait pas 20 millions. Il est curieux de constater qu’elle éclate alors qu’aucune suite connue n’a encore été donnée aux dérives déclarées d’extrême gravité et de grande ampleur imputées à la précédente équipe dirigeante de la Commission de la CEMAC, à la suite d’un audit indépendant réalisé courant 2023.

Cette révélation, à confirmer, pourrait servir à étouffer la conduite à terme des résolutions prises en octobre 2023 par le Conseil des ministres de la CEMAC, notamment la saisine des juridictions communautaires et l’extension des audits à toutes les institutions. Elle amènerait, une fois de plus, à asseoir l’impunité des responsables de ces dernières.

S’agissant de la question de la non-exécution d’une décision de la Cour de justice de la CEMAC, elle concernerait des avantages distribués à des fonctionnaires de la Commission par l’ex-président de cette institution avant de céder sa place, ainsi que des modalités estimées inadéquates de calcul de ses propres indemnités de départ. Ce type de situation n’est malheureusement pas nouveau au sein de la plupart des institutions de la CEMAC. Ainsi, des jugements intimant à la BEAC le paiement de droits sociaux à ses anciens salariés, dont un de ses ex-secrétaires généraux, sont toujours en souffrance. La Cour de justice statuant en principe en premier et dernier ressort, les concernés ne savent à quel saint se vouer ! Il y a donc ici une matière importante sur laquelle les chefs d’État devraient aussi statuer afin d’asseoir la crédibilité de l’ensemble de la Communauté.

On observe une récurrence des scandales dans les institutions de la CEMAC. A la lumière de votre essai « Pour sortir de la gouvernance défaillante de la BEAC. Promouvoir une banque centrale assurant l’intérêt général », publié début 2024, que recommanderiez-vous pour contenir ce phénomène ?

La perduration des situations précédemment évoquées ainsi que l’emblématique concours de la BEAC de mai 2022, passablement traité en juillet 2025, montre l’espèce d’irresponsabilité collective des dirigeants de la CEMAC. Hormis leur réaction un peu forcée, par le FMI, face au détournement opéré en 2009 au bureau de la BEAC de Paris, aucun dysfonctionnement ne leur paraît prêté à conséquence.

Néanmoins, la CEMAC a laissé entrevoir en avril 2025 qu’elle a perçu la nécessité d’agir pour améliorer la gouvernance de ses institutions. Toutefois, sans procès d’intention mais échaudé par les nombreuses promesses abandonnées dans les salles de conférence , il y a lieu de regretter que le processus de réforme, confié au président équato-guinéen, soit enfermé dans le carcan habituel qui maintient la sous-région dans son classement débilitant actuel vis-à-vis du reste du monde. Les structures en charge dudit processus ne comprennent que des représentants des Etats, dont des anciens dirigeants des institutions communautaires, et les responsables desdites institutions qui ont montré leurs limites manifestes depuis l’UDEAC, l’ancêtre de la CEMAC.

Pour atteindre leur but, il n’est pas trop tard d’y intégrer des personnalités indépendantes, aux compétences avérées, et d’y refléter la diversité ethnique et régionale de nos pays. Leurs travaux devraient être centrés sur la révision profonde des critères de choix des dirigeants des institutions, des membres de leurs conseils d’administration et comités d’audit, l’inclusion de représentants du personnel dans les organes de contrôle de gestion, l’instauration effective de leur contrôle régulier par une Cour des comptes régionale réellement indépendante et mieux dotée en personnel compétent, le renforcement précis des règles de transparence, la production du modus operandi d’un management collégial, l’obligation d’auditionner leurs premiers dirigeants au parlement communautaire, avant leur entrée en fonction, etc. Vu la pesante léthargie de la sous-région, une échéance à court terme, d’ici mars 2026, devrait être fixée pour la remise du rapport de ce groupe de travail.

Enfin, l’éthique et l’efficacité devraient guider les mesures préconisées. Pour instaurer l’intégrité et assurer l’utilité effective des institutions de la CEMAC, il faut en finir avec le népotisme à tous les étages et l’entre-soi.

Que vous inspire l’adoption en août dernier par le Sénégal d’une loi protégeant les lanceurs d’alerte ?

Il y a lieu de saluer cette initiative qui est considérée dans ce domaine comme la première en Afrique subsaharienne francophone. Il convient aussi de souligner qu’en plus de cette loi, le Sénégal a également voté une loi sur l’accès à l’information des citoyens ainsi que d’autres textes relatifs à la transparence et à la bonne gouvernance, particulièrement contre la corruption.

La CEMAC avait pris ce chemin en décembre 2011 avec une directive sur le Code de transparence et de bonne gouvernance des finances publiques. Ce texte, qui établit, entre autres, la déclaration du patrimoine des dirigeants des États, des élus et des hauts fonctionnaires, avant leur prise de fonction et au moment de leur départ, n’est pas vraiment appliqué ni clairement étendu aux responsables des institutions communautaires.

Au regard de la fréquence des scandales évoqués plus tôt, il urge d’adopter dans la CEMAC une directive sur la protection des lanceurs d’alerte pour permettre aux personnes (salariés, prestataires de service, usagers, etc.) au courant de mauvaises pratiques de gestion de la part des dirigeants de donner l’information sans risque de représailles. Une telle disposition, confidentielle et assurant une couverture juridique et judiciaire des personnes fournissant les signalements, faciliterait la dissuasion et la répression des crimes économiques. La plupart des pays membres ont d’ailleurs souscrit à différents engagements pour l’introduction de ce mécanisme efficace de lutte contre la corruption dans leur corpus juridique. Cependant, la place peu élogieuse occupée collectivement par la sous-région dans les classements annuels de Transparency International traduit des réticences fortes à combattre et à éradiquer ce fléau. Les citoyens et les opérateurs économiques de la sous-région doivent pousser les États et la CEMAC à progresser sur ce plan névralgique.