Opinion

Réflexion : Quand les bombes tombent au nom du ciel, le « Dieu des Armées » est-Il fini ?

Réflexion : Quand les bombes tombent au nom du ciel, le « Dieu des Armées » est-Il fini ? 1

Moyen-Orient, un acteur inattendu refait surface dans les discours : Dieu. Il est invoqué dans les conférences de presse, cité dans les tweets officiels, et utilisé comme justification suprême des frappes militaires. Une vieille stratégie de guerre, remise au goût du jour par des dirigeants politiques qui s’en servent autant pour parler à leur peuple que pour intimider leurs ennemis.

Dans un monde où la technologie militaire atteint des sommets inédits, où les drones frappent à des milliers de kilomètres, et où les guerres se livrent en direct sur les réseaux sociaux, un vieux réflexe demeure : invoquer Dieu. Le président américain Donald Trump l’a fait après une frappe contre l’Iran, le 22 juin dernier. Le guide suprême iranien, l’ayatollah Khamenei, le fait dans presque chaque discours. Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, lui aussi, évoque Dieu pour justifier l’action militaire de son pays. Mais à qui appartient ce Dieu ? Et que signifie-t-il, lorsque chaque camp prétend avoir le Ciel de son côté ?

Depuis l’Antiquité, les chefs de guerre ont invoqué la divinité pour légitimer leurs batailles. Dans la Bible hébraïque, Dieu est appelé « Yahvé Sabaot », littéralement « le Seigneur des Armées ». L’islam, à son tour, intègre l’idée du combat sacré, du jihad, sous certaines conditions. Quant au christianisme, il a connu ses propres croisades.

Aujourd’hui encore, l’appel à Dieu dans les conflits modernes s’inscrit dans cette continuité. Il rassure les populations, justifie les pertes, et donne à l’action militaire une dimension morale, voire transcendante.

Trois hommes, trois récits, un même Dieu ?

Après les frappes surprises baptisée « Marteau de minuit » contre les sites nucléaires iraniens, le Président américain, Donald Trump a déclaré : « Je veux simplement remercier tout le monde, et en particulier Dieu. Je veux juste dire à Dieu qu’on l’aime, …Dieu bénisse le Moyen-Orient, Dieu bénisse Israël, et Dieu bénisse l’Amérique. ». Bien qu’imprégné d’un nationalisme séculier, Trump n’a jamais hésité à mobiliser le langage religieux pour séduire sa base évangélique. L’on peut encore se rappeler que lors de l’escalade contre le même Iran en 2020, il a évoqué un Dieu protecteur de l’Amérique, un Dieu de justice et de vengeance.

L’ayatollah Khamenei, guide suprême de la République islamique d’Iran, parle quant à lui d’un Dieu qui soutient les opprimés et les combattants de la résistance. Sa vision est celle d’un affrontement sacré contre les forces de l’arrogance (istakbar), un Dieu aligné contre l’Occident et Israël. En 2023, Ali Khamenei avait déclaré : « Dieu ordonne la résistance face aux oppresseurs. Cette guerre est un jihad sacré Dans ce qu’on peut qualifier de croisade contre Israêl, On peut aussi citer le chef du Hezbollah libanais Sayyed Hassan Nasrallah qui invoquait régulièrement Dieu dans un discours de résistance sacrée contre Israël et les États-Unis. Pour lui, Dieu est présenté comme soutien des moudjahidines (combattants) et garant de la victoire contre les « agresseurs sionistes ». La lutte armée étant perçue comme une mission divine, une continuation du jihad contre l’injustice tandique Cheikh Ahmad Yassine (fondateur du Hamas) dans ses discours, Dieu est mobilisé comme guide et force protectrice de la lutte contre l’occupation israélienne.

Le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, chef politique d’un État juif moderne mais ancré dans une histoire biblique, n’hésite pas à citer les Écritures pour justifier les ripostes militaires. Pour lui, Dieu est garant de la survie d’Israël, entouré d’ennemis et de menaces existentielles. Il incarne ainsi une vision de l’État d’Israël où la politique contemporaine s’enracine profondément dans l’histoire biblique du peuple juif. Dans ses discours, il n’hésite pas à invoquer les Écritures pour légitimer certaines décisions, notamment en matière de sécurité et de défense. À ses yeux, Israël ne se résume pas à une entité politique moderne : c’est la continuation d’une promesse divine, un foyer ancestral rétabli au cœur d’une région perçue comme hostile. Cette référence constante à la Bible sert à renforcer l’unité nationale, à justifier les ripostes militaires comme un acte de survie, et à rappeler que selon cette vision, Dieu reste le protecteur ultime d’Israël face aux menaces existentielles. Ce discours mêlant foi, histoire et stratégie est central dans sa rhétorique politique, particulièrement en période de crise. On se rappelle encore de ce qu’il disait en 2024 : « Nous agissons avec foi et courage. Le Dieu d’Israël protège son peuple. »
Et le Dieu des civils ?

L’invocation divine dans un contexte de guerre ne relève pas seulement de la foi personnelle : elle est un outil stratégique. En associant la guerre à une mission divine, les dirigeants renforcent leur légitimité, polarisent les camps et rendent toute critique plus difficile : comment discuter rationnellement d’une guerre menée « avec Dieu » ?
Mais ce recours est aussi dangereux. Il absolutise les conflits, exclut le compromis, et transforme l’ennemi en hérétique ou en diable. Quand Dieu devient général d’armée, la paix devient une trahison spirituelle.

Dans un autre contexte (chrétien et non violent), des figures comme Gustavo Gutiérrez du Pérou ou Oscar Romero du Salvador évoquent « un Dieu qui prend parti pour les pauvres et les opprimés ». Dieu est vu comme opposé à l’impérialisme et au capitalisme oppressif. Ils ont donc une lecture biblique politique et anticoloniale, parfois accusée de marxisme religieux.
Dans les prières silencieuses des civils, dans les larmes des enfants, dans les ruines d’un hôpital bombardé, un autre visage de Dieu émerge. Celui qui ne prend pas parti, mais qui pleure. Celui qui n’ordonne pas les frappes, mais qui veille au chevet des mourants.
Peut-être que le « Dieu des Armées » est fini. Peut-être que le monde a besoin, non d’un Dieu qui bénit les missiles, mais d’un Dieu de la réconciliation.

La guerre invoque Dieu, mais Dieu ne signe pas les missiles. Quand trois camps se réclament d’un même absolu, c’est souvent la vérité humaine qui meurt la première.
Reste à savoir si, dans les cendres de la guerre, la voix de Dieu pourra encore être entendue — non comme un ordre de combat, mais comme un appel à la paix.
Que ça soit dans les ruines de Gaza, de Téhéran ou de Tel Aviv, ce n’est pas le Dieu des Armées que les civils implorent. C’est un Dieu de paix, de secours, de miséricorde. Celui qui n’a ni camp, ni drapeau, ni missile.

Quand chaque chef affirme que Dieu est de son côté, la guerre devient une guerre de religions Alors, Dieu est-il dans cette guerre… ou bien est-il pris en otage ?

Dany Danzoumbé PADIRE