Societé

Dans les labyrinthes des pensionnats tchadiens

Dans les labyrinthes des pensionnats tchadiens 1

Fin octobre dernier, les enfants démunis du centre Dakouna-Espoir sont expulsés sans ménagement de leur centre pour arriérés de loyer. Cette expulsion a suscité l’émoi au sein de la société. Au-delà de Dakouna-Espoir, de nombreux autres centres s’engagent à soutenir des enfants en détresse sans subvention de l’Etat. Une immersion dans quelques centres qui redonnent de l’espoir aux enfants déshérités malgré le manque de moyens.

Il est 21 heures et demi à la rue 5045 jouxtant l’avenue Mbaïlemdana, dans la commune du 6ème arrondissement de N’Djaména. Sous les lampadaires en ce mercredi 24 octobre 2021, un regroupement inhabituel s’observe devant un grand bâtiment. Des brouhahas des jeunes s’entremêlent aux vrombissements de moteurs des véhicules qui circulent sans arrêt sur cet axe. Devant cet immeuble, des maisons de fortune construites de cartons et de planches, transformant le lieu en un véritable bidonville aiguisent la curiosité des passants. Des tapis usés, des matelas, des draps en lambeau ainsi que des habits et des tasses jonchent le sol. Pendant ce temps, un groupe de jeunes suit un film projeté sur le mur d’un bâtiment qui effleure une gargote.

Assis devant un kiosque bleu implanté légèrement à côté de l’entrée du centre, le coordonnateur terrain de l’association Dakouna Espoir Tsimi Stéphane explique d’un air désarçonné la situation : « nous sommes à 10 mois de loyer impayé. Pendant tout ce temps, nos efforts ont été vains. Chaque fois, on nous dit que le dossier de paiement est toujours dans le circuit ». D’après les responsables, au moins 67 jeunes âgés de 9 à 22 ans sont pensionnaires dans ce centre. Au ministère de l’action sociale, le sort du centre devient un secret de polichinelle. Un cadre dudit ministère qui souhaite garder l’anonymat explique : « la direction de l’enfance, en charge des organisations ou associations pouvant bénéficier de l’appui du ministère ou de ses partenaires, a omis de sa liste ce centre. Il fallait rattraper cette bourde mais c’était tard. Maintenant, l’Unicef a demandé au ministère qui a payé le bail et il va rembourser l’année prochaine ».

À quelques kilomètres de là à Ndjari, dans le 5ème arrondissement, se trouve le centre Sos Villages d’Enfants. Sous l’ombre des maisons bien cotées et des fleurs bien arborées, quelques enfants déambulent çà et là. Entretemps, d’autres révisent leurs cours. « Vous partez déjà à madrassa (Ndlr : école coranique) », demande l’un d’eux à ses amis. « C’est un devoir religieux », réplique un autre. Sous une véranda d’une maison en face, la gestion du centre et les pensionnaires est au menu des discussions entre deux dames travaillant dans ce pensionnat. « Ce sont nos mamans », nous renseigne une jeune qui se précipitait pour rejoindre ses amis. Il s’agit selon le directeur national dudit centre, Ndoutabet Ngardoum Richard, des femmes qui sont recrutées pour s’occuper de ces enfants. Tributaire des associations membres de la fédération Sos Villages d’Enfants, le centre voit ses ressources s’amenuiser au fil des années. « Depuis l’arrivée de Covid-19, certains parrains qui nous appuient sont décédés. Nous essayons de mobiliser nos propres ressources, mais il est très difficile de couvrir les besoins des enfants », confie-t-il.

Paré de fleurs et d’arbres à la sortie ouest de N’Djaména, le Centre de Vie Béthanie, située à Sadjeri, dans le 10ème arrondissement doit faire aussi face à d’innombrables difficultés pour assurer la prise en charge des enfants : manque d’énergie, cessation de la dotation d’aliments par l’organisation mère, la Direction du développement et de la coopération (Ddc), une organisation suisse, la masse salariale et bien d’autres. « En dehors de l’appui de l’organisation mère, il a reçu de de l’Unicef, de l’Office national pour la promotion de l’emploi et du Centre Social des produits alimentaires, hygiéniques et des matériels pour faire face à la Covid-19 », informe Union Djimrabeye, assistant administratif et comptable dudit centre.

Un appel à l’endroit des personnes de bonne volonté et des partenaires

Bien que son apport soit beaucoup plus technique, l’Etat reste l’un des partenaires clés de ces organisations qui œuvrent pour aider ces milliers d’enfants en détresse. « Nous travaillons avec le ministère de l’action sociale qui nous appuie techniquement. Sans l’appui du ministère de la santé, nous serons obligés de fermer le centre de santé qui aide non seulement les enfants mais aussi la population aux alentours », alerte le directeur national de Sos Villages d’Enfants qui plaide pour que son organisation soit prise en compte dans le budget de l’Etat et qu’elle soit reconnue comme une organisation d’utilité publique. « Nous faisons le travail de l’Etat en éduquant ces enfants et en les prenant en charge afin qu’ils deviennent des citoyens responsables », argumente-t-il. Pour ce pensionnat, chaque année, il faut au moins 600 millions de francs Cfa pour s’occuper de plus de 180 enfants dans le centre et d’environ 800 autres inscrits dans les programmes de renforcement des familles. Pour le centre Béthanie qui héberge au moins 250 enfants orphelins et plus de 8000 enfants dénutris, il faut au moins 150 millions de francs Cfa par an. L’un des problèmes et non des moindres pour ces centres, c’est l’insertion socio-professionnelle de ces enfants une fois adultes. « Ces enfants grandissent, ils deviennent des adultes et on a cette lourde responsabilité d’assurer leurs insertions socio-professionnelles. C’est le plus grand défi auquel nous devons atteler à relever », projette le directeur national de Sos Village d’enfants. Des préoccupations partagées par Union Djimrabeye. « L’autre difficulté est liée à l’alimentation journalière des orphelins, malnutris et leurs accompagnantes. Bien que branché sur la ligne de la Société nationale d’électricité, les factures de consommation mensuelle sont en moyennes à 300 000 francs Cfa », révèle-t-il.

Stanyslas Asnan